#3 - Auschwitz-Birkenau, de l'ambivalence des émotions.

Auschwitz-Birkenau, plus grand complexe de concentration et d'extermination du IIIème Reich, a été construit par l'administration nazie pour contribuer massivement aux exterminations planifiées et organisées par la "solution finale". Avec 1,1 million de victimes, Auschwitz-Birkenau est aujourd'hui considéré comme le véritable symbole de l'industrialisation de la mort organisée par l'homme. Érigé en musée d’état et classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, ce site participe pleinement au devoir de mémoire de cette période de l'Histoire. Retour sans filtre sur une visite entre impatience, appréhension et déstabilisation.

La découverte in situ d'Auschwitz-Birkenau était une des raisons pour lesquelles je souhaitais user mes semelles dans cette partie de l'Europe. Cracovie s'annonçait comme une bonne destination pour une petite semaine, une pierre, deux coups.

Auschwitz 1, Birkenau dit Auschwitz 2, et Monowitz dit Auschwitz 3, forment à eux 3 le camp d'Auschwitz-Birkenau. Après 1h30 de route, nous arrivons en fin de matinée devant l'entrée du camp dans un temps brumeux. Les conditions sont réunies et adaptées pour une immersion dans cet environnement ressemblant à ces photos que nous visualisons tous, façon Nuit et brouillard. Pourtant rien ne se déroule comme je l'ai imaginé.

D'une insensibilité inattendue.

L'arrivée dans le camp est oppressante. La vision de la si célèbre enseigne "ARBEIT MACHT FREI" - le travail rend libre - ne laisse plus de doute quant à la réalité de l'endroit. Nous y sommes. Je suis prêt à prendre une grande claque émotionnelle.

Les premiers pas sont hésitants. Le temps semble s'y être arrêté. Une voix calme, posée et précise rappelle avec un accent slave ces quelques chiffres. La "solution finale" prévoyait l'extermination des 11 millions de juifs d'Europe. Tous camps confondus, environ 6 millions de personnes y ont péri. 1,3 million d'entre eux ont connu la déportation à Auschwitz-Birkenau. 1,1 million y ont été exécutés. Ce camp représente à lui seul 1/5ème des victimes du projet nazi. Dans cet environnement où je suis actuellement, sur ce sol que je foule, dans ces bâtiments - ces block - dans lesquels je m’apprête à rentrer, 1,1 million de personnes ont été exécutés. Je commence à visualiser, à m'immerger. Tout du moins c'est ce que je croyais.

 

La visite commence. La claque émotionnelle ? Il n'en est rien. Géné  ? Un peu. Mal à l'aise ? C'est certain. Pourquoi ? Pas car ce que je vois me bouleverse, mais justement parce que je ne le suis pas. C'est étrange et ça me dérange. Je me rends compte au fil des minutes qui s'égrainent, que s'installe inconsciemment une barrière entre ce que je vois et ce que j'entends, et la réalité historique du lieu. C'est seulement après avoir quitté cet environnement si particulier que j'ai pu assimiler l'incidence de cette (re)découverte historique dans ces lieux. Assurément, ce moment m'a marqué. Il me fallait simplement le digérer avant de l'intégrer. Aujourd'hui encore, plus qu'avant, les images de ces camps sont rudes. À la différence d'hier, je n'avais pas vu ce qu'ils représentaient ... réellement ; et ça change tout.

D'une réalité déconcertante.

La découverte des block débute. En guise de sas d'immersion, des documents décrivant l'administration du camp : suppression du nom, attribution d'un numéro, la perte de leur humanité est tatouée sur leur bras. Le récit raconté n'est plus qu'un bruit sourd dès lors que nous faisons face aux effets personnels des victimes, intacts, découverts à la libération du camp. Des valises d'abord. Toutes portent le nom de leur propriétaire. On leur avait dit de soigneusement y noter leur identité pour leur permettre de les retrouver plus facilement à la sortie de "la douche". Des brosses, des peignes notamment. Puis des vêtements, des chaussures ... par milliers. Derrières elles, autant de victimes. Tiens une paire de 28 ... Dans un autre bâtiment, un large tas de cheveux d'une vingtaine de mètres de long continue de blanchir. Ils ont 70 ans. Enfin, la traversée d'un long couloir sur les murs duquel se dressent des portraits de prisonniers est déroutante. Alors que jusqu'à présent les photos exposées représentent des groupes d'individus anonymes, nous faisons face ici à des centaines de portraits de prisonniers.  Leur regard profond rempli d'honneur fixe l'objectif du bourreau qui immortalise leur passage dans ce camp.


La découverte se poursuit avec l'arrivée dans les dortoirs. Ils n'en ont que le nom. Une structure de bois branlante permettra d'entasser environ 25 détenus sur 4 mètres carrés d'emprise au sol. Le bois comme matelas pour les plus chanceux, et le béton gelé pour les derniers occupants des blocks où le thermomètre descend régulièrement dans les abîmes des températures négatives. Moins 10, moins 20 et leur uniforme de détenu comme seul rempart contre le froid.

Le récit des conditions de vie, même connu, est saisissant. La plus immonde des soupes servie deviendra le met le plus prisé après seulement quelques jours de présence. La famine est maîtresse et la faim obsède ces corps squelettiques prêts à tout pour quelques grammes de pain rassis. Les maladies circulent plus vite que ces hommes, et arrivent à bout de corps que la faim n'a pas faite succomber. Malades ? S'ils sont en vie, c'est qu'ils peuvent travailler. Dans ce cas là, la mort est un luxe. Elle sera refusée aux détenus conscients de l'évasion de leurs proches par les cheminées.

D'une industrialisation de la mort.

L'organisation générale du camp a été conçue avec minutie. Chaque hypothèse susceptible de se présenter à chacun des maillons de la chaine, est anticipée par la mise en place préalable d'une solution et d'une conduite à tenir. Telle une industrie à la chaine, la division des tâches instaurée éloigne l'individu de la finalité de l'action à laquelle il contribue pourtant directement. Aucun pion de l'organisation n'est alors amené à s'interroger sur la finalité même de l'opération à laquelle il participe. Il ne fait que "conduire des trains" ou bien encore que de "tatouer des détenus" ou "simplement raser des cheveux".

 

Exemple et symboles du symbole, les chambres à gaz et fours crématoires. Le passage dans ces lieux est probablement le plus prenant. Dès leur arrivée, les détenus sont sélectionnés. Il y a ceux qui, sans le savoir, s’apprêtent à connaitre directement l'exécution, et ceux qui la connaitront aussi ... mais plus tard. 90% des détenus sont orientés vers "la douche de désinfection". Comme pour les valises sur lesquelles est notée leur identité, il est demandé à chaque détenu de retenir le numéro de son porte manteau afin qu'il puisse retrouver plus facilement ses affaires. L'objectif ? Éviter le doute, préserver le calme, et permettre le déroulement du processus d'exécution sans heurts. L'installation de douches fictives parfait l'illusion. Par la mise en place de ce processus, étudié, analysé et perfectionné au fil de sa mise en œuvre, ce dispositif a permis la mise à mort de près de 6 000 personnes par jours au plus haut de leur utilisation. Dans cette pièce où je me trouve, jusqu'à 6 000 personnes par jours ont été exécutées. La sensation est difficilement descriptible.

Auschwitz pour la mémoire.

D'exemples en illustrations, de récits en descriptions, les quatre heures de visite sont intenses, courtes et longues à la fois. Évidement bien d'autres moments pourraient d'être détaillés.

Ainsi, que ce soit par la rudesse de ce qu'elle montre, ou par les interrogations qu'elle engendre, cette visite ne peut qu'indéniablement marquer chacun de ses hôtes de l'instant. Entre insensibilité dérangeante et émotions décalées, j'y aurai passé un moment intéressant et passionnant, mais aussi étrange et déroutant. Nul doute qu'il faille un jour passer sous l'enseigne de ce lieu qui a fait l'Histoire malgré lui. Aujourd'hui peut être plus que jamais, celui qui ne connait pas son histoire est condamné à la revivre. La population polonaise, héritière et garante de ce morceau d'Histoire, l'a bien compris et s'attache aujourd'hui, dans un mélange de lucidité et de sérénité, à œuvrer pour ce devoir de mémoire.

Écrire commentaire

Commentaires: 0

Me contacter

ici

Partager

Me suivre


Sauf exceptions signalées, l'ensemble de mes photos sont placées sous licence Creative Commun "Attribution". Les photos présentées sont donc utilisables librement sous réserve d'indiquer la paternité des clichés.